Critique - Scène: Counter Offence (via Kinoculture Montreal)

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Originally posted March 12, 2020

By Élie Castiel

CRITIQUE - Scène: Counter Offence

texte: Élie Castiel

★★★ ½

En 1995, lorsque la pièce est présentée pour la première fois, les choses sont différentes – le racisme ordinaire se fait sentir de façon plus ou moins palpable au sein des pouvoirs publics. Avec les années, les nouvelles technologies, une génération montante s’abreuve des libertés qu’offrent les réseaux sociaux en matière de résistance et de lutte.

En 2020, la reprise de Counter Offence paraît encore plus essentielle, migrants, injustices et autres maladresses dues à un racisme enraciné et, dans quelques cas, inconscients (ou l’est-ce vraiment?) – les cas Kanata et Slāv en sont des exemples édifiants.

Certes, les choses changent au Québec. Par prise de conscience sincère? Par nul autre choix? Pour empêcher le pire? Toujours est-il que la pièce de Rahul Varma possède un double sens aujourd’hui; d’une part rappeler le contexte historique d’un temps pas si lointain (car aujourd’hui, la mémoire est beaucoup plus courte que dans le passé malgré la multitude d’informations qui inondent nos écrans de divers formats) et de l’autre, recontextualiser le récit pour, justement, faire part d’une situation qui ne cesse de se renouveler quelles que soient les circonstances. Counter Offence est une pièce intemporelle.

“Reste à savoir si le théâtre des « cultures » doit lui-même se réaliser ou au contraire « s’intégrer » à l’établi, aussi bien le francophone (déjà bien installé dans le paysage) que l’anglophone (qui subsiste tant bien que mal)?”

Immigrations (migrations?) légales ou illégales sont devenus par la force des choses des enjeux capitaux, des zones grises à retardement où tout peut exploser peu importe de quel côté on se place.

Par acquit de conscience

Le Studio du Centre Segal est divisé en deux – d’un côté, les spectateurs-juges, faisant face à l’autre partie de la salle, où une grande partie tient lieu de scène dont l’équipement de fortune, pourtant magistralement choisi et où le bois domine, donne la possibilité aux différents artistes d’exprimer les tensions, les problématiques sociales, de couple, en matière de justice et de légalité, questions personnelles intimes aussi.

Entre 1995 et 2020, l’homme d’ailleurs, particulièrement celui des zones limitrophes, a-t-il vraiment changé ou retient-il encore ces valeurs machistes issu d’un patriarcat qui n’a plus de raison d’être? Essentiellement en ce qui a trait à son rapport aux femmes. Car elles, de leur côtés, ou du moins plusieurs d’entre elles ont changé, informées à travers le temps grâce aux réseaux sociaux et un système d’échange d’idées immédiats. Les mâles de leurs pays n’ont pas tous suivi cette débâcle à leur égard.

Mais l’écriture de Varma va beaucoup plus loin; non seulement, elle adresse avec rigueur et pugnacité (d’où ce refus de censurer le mot et le verbe) l’inconduite envers les immigrants, et pour l’une des rares fois dans ce discours du combat, fait prendre conscience aux dites-victimes du sens profond de leurs comportement. Eux aussi ont tort, faut-il le rappeler. Particulièrement les Hommes.

Jamais espace scénique ne fut aussi bien utilisé. Des va-et-vient incessants qui donnent parfois le vertige, mais une agoraphobie salutaire, puisqu’elle s’emploie à nous faire prendre conscience, nous les spectateurs, à un examen de conduite sociale, d’éthique, de renouvellement de la pensée, de niveaux de justices, de tous ces fondements sociaux dont certains estropiés depuis quelque temps.

La scène est très proche de ceux et celles présent(es) dans la salle. C’est en quelque sorte comme si on assistait à un spectacle intime, à un dialogue entre les comédiens et les spectateurs où seuls les premiers auraient le droit de d’exprimer.

Et pourtant, nous sentons que nous faisons partie intégrante de la scène. Cette mise en abyme virtuelle s’exprime magnifiquement bien dans la mise en scène d’Arianna Bardesono, conquise par le thème dont il est question.

Pas d’instants morts, aucune parole de trop, tout est formulé de telle(s) façon(s) que nous atteignons des moments de complicité bouleversants. Comme ce plan figé au milieu de la scène qui rappelle un tableau de la « vierge et l’enfant » que viennent surélever à un niveau supérieur les éclairages spirituellement nuancés de Zoe Roux.

Qui s’est trompé? Qui a raison? On sort de cette expérience avec le sentiment d’avoir assisté une leçon de déontologie sur la condition humaine. Sans dénigrer le travail de toutes les comédiennes et de tous les comédiens, Amir Sám Nakhjavani (dans le rôle de Shapoor Farhadi) passe avec une dextérité et une aisance déconcertantes d’une émotion à l’autre. Un acteur formidable et d’une scénogénie électrisante. Assis, debout ou gisant parterre, sa présence est palpable et électrisante. À lui, se joint un Arun Varma (rôle de Moolchand Misra), sorte de personnage binaire ange-démon, très prometteur car, comme chez les acteurs dans les films Bollywood de qualité, il se donne entièrement.

Reste à savoir si le théâtre des « cultures » doit lui-même se réaliser ou au contraire « s’intégrer » à l’établi, aussi bien le francophone (déjà bien installé dans le paysage) que l’anglophone (qui subsiste tant bien que mal)?

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